La machine infernale de Fieschi : un attentat sous la monarchie de Juillet

En 1835, le corse Fieschi ouvre le feu au passage du roi Louis-Philippe, avec sa "machine infernale" : vingt-cinq canons de fusil alignés, fixés sur un châssis en bois et inclinés. La nature de l’arme utilisée dans l’attentat frappe l’opinion : elle suggère la revendication d’une forme de souveraineté populaire.

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

Une machine de mort

La machine, qui fait un mètre vingt dans sa grande hauteur, est constituée de vingt-cinq canons de fusil alignés, fixés sur un châssis en bois et disposés de manière à être inclinés. Chaque canon de fusil est rempli de lingots de plomb, de balles de fusils et de mitraille. Leur mise à feu est prévue de manière simultanée. L’engin a été conçu et fabriqué par Giuseppe Fieschi, un ancien soldat qui se revendique bonapartiste, dans le but de commettre un attentat contre Louis‑ Philippe Ier. Le 28 juillet 1835, alors que le roi passe en revue la garde nationale sur le boulevard du Temple, Fieschi actionne la machine. Le bilan de l’attentat s’élève à dix‑ huit morts, parmi lesquels des membres de l’état‑major, et vingt et un blessés. Au milieu de la scène d’épouvante, le soulagement prévaut : le roi n’a pas été touché. Qualifiée de « machine infernale », comme l’avait été précédemment le tonneau rempli de poudre destiné à tuer Napoléon Bonaparte rue Saint‑Nicaise en 1800, elle présente un fonctionnement bien différent. La presse multiplie les schémas explicatifs et souligne sa conception ingénieuse. Certains, tel Louis Blanc, évoquent « l’affreuse nouveauté du crime » qui conduit au carnage.

Une finalité ambiguë

Dans les jours qui suivent, les autorités politiques guettent les moindres gestes qui laisseraient à penser que l’attentat était un signal destiné à déclencher la révolte et l’insurrection. Un rapport de police fait état d’une bande d’individus qui tentaient d’édifier une barricade à Paris. Des femmes auraient brandi un drapeau rouge à la fenêtre d’un immeuble, non loin du boulevard du Temple. Dans le même temps, le gouvernement scrute les fluctuations de l’opinion publique, s’inquiète des réactions populaires et traque les propos séditieux. À Rouen, un homme aurait déclaré : « Louis-Philippe est mort, c’était un monstre, aux armes, vive la République ». Le thème du tyrannicide affleure également dans des textes anonymes qui invitent les « nouveaux Spartacus » à préparer leurs armes.

Loin d’être articulé à une organisation de grande ampleur, l’attentat est l’œuvre de Fieschi et de quatre complices, parmi lesquels deux républicains, Pépin et Morey. Il s’inscrit dans un contexte marqué par une forte agitation politique et la répression violente des insurrections de juin 1832 et avril 1834. Le recours à l’attentat fait ainsi figure de modalité d’action politique alternative et « moderne ». Lors du procès qui se tient en janvier 1836, la question de la finalité de la machine infernale est posée. Fieschi assume avoir voulu atteindre le roi et ses enfants, mais il se défend d’avoir voulu commettre « un attentat aussi funeste ». Il laisse entendre que ses complices avaient pour dessein de faire « bien des gens blessés ou morts ». Les propos de Fieschi doivent être considérés avec prudence : celui qui est qualifié de bandit corse a souvent changé de versions. Il est toutefois fort probable que l’usage d’un tel engin visait à faire un grand nombre de victimes et nombre de contemporains lui reprochent d’avoir fait feu sur des innocents.

L’œuvre du fanatisme

Pour les autorités, il est difficile de comprendre que des hommes issus des catégories populaires aient osé, à travers la conception d’un tel instrument, s’approprier une forme de souveraineté politique. Le discours prévaut que l’attentat est l’œuvre d’individus obscurs, dénués de toute conviction politique et guidés par le fanatisme et la haine. Loin d’être menaçants, ils constituent une sorte de fatalité historique à laquelle tout régime se trouve confronté et dont il sort victorieux. La dépolitisation de l’acte n’empêche pas une répression politique avec les lois de septembre 1835 qui interdisent notamment de se dire républicain. Les projets et les tentatives d’attentat ne prennent toutefois pas fin et, pour certains d’entre eux, s’inspirent du procédé de Fieschi. En 1837, un complot républicain, mené par Aloysius Huber et Laure Grouvelle, vise à utiliser une machine constituée de deux rangées de bois sur lesquelles sont posés 16 canons de fusil. En 1852, une machine formée de plus de 200 canons et probablement destinée à frapper le prince-président est découverte dans le Midi.

Auteur de l’étude :
Date de mise en ligne :
29 mars 2024
Pour citer cette étude :

Karine Salomé, « La machine infernale de Fieschi : : un attentat sous la monarchie de Juillet », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 29 mars 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/112.