Une ceinture offerte à Louis-Philippe par une jeune fille
- Cette ceinture de perles tricolores a été offerte à Louis-Philippe peu après la Révolution de 1830. Sa singularité tient surtout à son expéditrice : une jeune fille de douze ans, qui accompagne son don d'une courte missive. L'objet permet de s'interroger sur la pratique du cadeau politique et des bijoux sentimentaux au XIXe siècle, mais aussi sur les rôles de genre à l'intérieur de cette pratique.
Analyse de l’objet
- Analyse de l’objet :
Une intrigante ceinture-bijou
L’objet frappe par sa délicatesse : un long ruban de faille rouge, sur lequel sont brodées de minuscules perles bleues, blanches et rouges, fermé par une petite boucle de métal ornée de cabochons irréguliers. Trois bandes de perles, d’égale largeur, y sont brodées, composant une bannière bleu-blanc-rouge sur laquelle se détachent ces mots : « Souvenir des 27, 28, 29 juillet dédié à S.M. Philippe roi des Français offert par H. Ramand ». Les lettres sont elles-mêmes soigneusement formées au moyen de perles tricolores brodées sur la ligne blanche de la ceinture. Sa facture autant que ses dimensions lui confèrent ainsi bien davantage l’aspect d’un bijou que d’une ceinture, vouée à enserrer une taille masculine.
Ce cadeau fait à Louis-Philippe étonne et intrigue, gardant une grande part de mystère. La lettre l’accompagnant révèle l’identité de son auteur : Honorine Ramand, âgée de 12 ans. Là sont pourtant les seules indications dont nous disposons : nulle date ne précise exactement le moment où a été fait cet envoi ; nulle adresse n’éclaire le lieu de résidence de cette petite fille ; nul renseignement ne vient préciser son origine sociale ; nul indice ne permet d’établir avec certitude que cette ceinture fût bien l’œuvre d’une enfant. Si cette missive témoigne d’une maîtrise indéniable de l’écriture — lettres élégamment formées, style soigné et une seule petite faute d’orthographe —, elle n’en est pas pour autant un indice évidemment signifiant : elle peut relever d’un geste d’exception. La broderie, quant à elle, est un usage alors partagé, pratiqué dans les pensionnats et les couvents comme chez soi. Elle relève de ces travaux domestiques assignés au genre féminin. Les broderies de perles, elles-mêmes, ne sont pas rares, servant à confectionner de petites tapisseries ou des tableaux, parfois des bijoux ou de simples accessoires comme des blagues à tabac. Les matériaux choisis ne sont pas non plus un signe réellement distinctif. La boucle fut sans doute ce qui coûta le plus cher. Les rubans, eux, sont des produits répandus, tant leur commerce s’est développé depuis la fin du XVIIIe siècle pour orner chapeaux et tenues ; quant aux perles colorées, si elles sont innombrables, elles sont bien petites et en verre.
Une adresse politique explicite
Intrigant, l’objet l’est aussi par l’association d’une pratique féminine à un message explicitement politique. Si de récents travaux ont montré l’utilisation par les femmes, à des fins d’émancipation et d’affirmation civique, des travaux domestiques les plus conventionnellement associés à leur genre, la grande jeunesse d’Honorine Ramand surprend cependant. Elle pose la question des sources et des contours de cette politisation enfantine ainsi que celle des ressorts de cet investissement politique précoce d’une pratique inscrite dans l’éducation usuelle des jeunes filles.
Le choix des trois couleurs rattache cette ceinture à un répertoire de symboles et d’usages dont la tradition naît dans les tout premiers temps de la Révolution de 1789. Rubans, cocardes et drapeaux tricolores investissent alors l’espace public et ornent le vestiaire, traduisant l’avènement d’un nouvel ordre politique. Proscrit sous la Restauration au profit du drapeau blanc, le drapeau tricolore ressurgit spontanément et immédiatement au cours des journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet qui chassent Charles X du pouvoir. Emplies de l’imaginaire de la Révolution et de l’Empire, les trois couleurs réinvestissent alors l’espace public, mais aussi domestique. Elles sont portées, célébrées en images et en chansons, et Louis-Philippe s’en empare immédiatement. Il fait du drapeau tricolore l’emblème officiel de son régime et rétablit le port des trois couleurs pour les corps préfectoral et municipal. L’iconographie des premiers temps de la monarchie de Juillet célèbre alors à l’envi ce roi-citoyen paré des trois couleurs.
La ceinture d’Honorine Ramand rappelle ces sources révolutionnaires d’un régime monarchique que Louis-Philippe promet nouveau. Significativement, ce sont les Trois Glorieuses qu’Honorine Ramand choisit ici de commémorer, quand, bien vite, le nouveau régime préfère faire du 9 août — date à Louis-Philippe prête serment à la Charte révisée — sa date fondatrice. L’utilisation de la formule de « roi des Français » conforte ce rappel de la souveraineté nationale sur laquelle Louis-Philippe affiche vouloir fonder son régime. Enfin, l’appellation « Philippe » (Philippe Ier dans la lettre adressée par Honorine) conforte cette image de roi démocratisé : plus de Louis ici, comme ce fut le cas dans nombre de cris proférés aux premières heures de son avènement.
Une offrande sentimentale
Ce cadeau envoyé par Honorine Ramand à Louis-Philippe n’est alors pas un geste isolé. Les archives des monarchies censitaires gardent la trace de ces dons faits au pouvoir, accompagnés de lettres qui, toutes, disent les espoirs et les élans du cœur qui les sous-tendent. L’offrande au roi est alors l’expression d’un lien politique très affectivement investi. La lettre d’Honorine Ramand traduit ce rapport singulier au pouvoir, qui a nourri son geste de brodeuse : « à chaque perle je faisais un vœux [sic] pour le Bonheur de Votre Majesté et de votre auguste famille, et mon cœur me disait que j’en faisais pour le Bonheur de la France ». L’objet en lui-même relève pleinement de l’offrande sentimentale. Si la ceinture tricolore devient une pièce du vestiaire officiel des représentants du pouvoir, celle d’Honorine Ramand rejoint bien davantage la tradition des bijoux de sentiment que le premier XIXe siècle, tout particulièrement, voit se répandre : ces bijoux ornés d’acrostiches, de devises, de symboles ou tissés de cheveux, qui expriment émotions et sentiments. Ici, ils se cristallisent sur les trois journées révolutionnaires inscrites en lettres de perle.
Le geste d’Honorine Ramand, pourtant, se singularise. Parce qu’il est celui d’une très jeune fille tout d’abord. Ensuite parce qu’en ne mentionnant aucune adresse, elle rend impossible toute réponse — ce que note la Maison du Roi dans une mention manuscrite en marge de la lettre. Quand la demande d’accusé de réception du cadeau, voire de réponse à une sollicitation, accompagne le plus souvent ces dons faits au pouvoir, ici, le geste n’appelle aucun contre-don, en une offrande dont le seul but, peut-être, est de rappeler au nouveau roi tout ce qu’il doit à la révolution de 1830.
- Auteur de l’étude :
- Corinne Legoy
- Date de mise en ligne :
- 17 avril 2024
- En savoir plus :
Sylvie Aprile, Jean-Claude Caron, Emmanuel Fureix (dir.), La liberté guidant les peuples : les révolutions de 1830 en Europe, Seyssel, Champ Vallon, 2013.
Corinne Legoy, « L’enthousiasme de l’adhésion », dans Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, Paris, Seuil, 2016, vol. 2, p. 277-298.
Sophie Wahnich, Le ruban tricolore : un lien politique, Montrouge, Bayard, 2022.
- Pour citer cette étude :
Corinne Legoy, « Une ceinture offerte à Louis-Philippe par une jeune fille », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 17 avril 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/131.