Demande de grâce de débitantes de tabac bordelaises, juillet 1853
Analyse de l’objet
- Transcription (orthographe respectée) :
À Sa majesté l’Empereur des Français
Sire,
Les personnes, soussignées débitantes de tabac à Bordeaux, ont l’honneur de s’adresser à votre Majesté pour être graciées d’une peine qui les a frappées dans des circonstances tout-à-fait exceptionnelles.
Après la révolution de février des pipes à l’effigie des personnages politiques les plus célèbres et les plus opposés, furent adressées par les fabricants de Paris aux débitans [sic] de la province. Les soussignées les reçurent et les mirent en vente. Plusieurs de ces pipes à effigie furent effectivement vendues en l’année 1848 ; mais depuis cette époque les autres étaient restées oubliées et comme perdues pour tout le monde dans le fond de chaque débit.
Cependant, au mois de 7bre [septembre] 1852 un commissaire de police fit une perquisition et il découvrit chez l’une des soussignées une pipe à l’effigie de Barbès chez une autre débitante deux pipes à l’effigie de Blanqui ou de Ledru Rollin, chez une troisième une pipe représentant Mr le comte de Chambord ; aussitôt saisie, procès-verbal et citation en police correctionnelle, pour avoir, par des emblèmes séditieux propagé l’esprit de rébellion.
À l’audience, le tribunal et le ministère public écartèrent ce délit, et s’empressèrent de reconnaître que les prévenues étaient d’une entière bonne foi et n’avaient jamais eu l’intention de pousser à la révolte, ni surtout d’attaquer votre gouvernement, mais le tribunal vit dans les faits exposés ci dessus une contravention au décret du mois de juillet 1852 ; et il condamna pour avoir mis en vente des objets sans autorisation préalable de Mr le Préfet.
Les soussignées ne rappelleront point à votre majesté tous les incidents de ce malheureux procès ; elles lui diront seulement qu’après cassation d’un arrêt de la cour Impériale de Bordeaux qui les avait acquittées, elles viennent d’être condamnées par défaut par la cour Impériale d’Agen à un mois de prison, cent francs d’amende et à tous les frais.
Cette peine est bien rigoureuse. Si elle était exécutée, elle plongerait dans la douleur et dans l’humiliation de pauvres femmes avancées en âge pour la plus part [sic], entourées de la considération publique et à qui la conscience n’adresse aucun reproche. Mais, Sire, votre clémence interviendra pour modérer les rigueurs de la justice et vous ferez descendre vos grâces sur celles qui les implorent et qui les méritent à tous égards.
En recevant des pipes à effigie les débitantes de tabac n’ont fait qu’obéir aux exigences de l’époque et de leur profession. Elles les ont ensuite laissés dans leur magasin sans penser qu’il fallait recourir à une autorisation de Mr le Préfet pour éviter d’être en contravention. Leur bonne foi est constatée par les décisions judiciaires, intervenues dans cette affaire, et jamais le moindre doute ne s’est élevé sur l’innocence de leurs intentions.
Parmi les femmes qui vous implorent il en est plusieurs Sire qui sont veuves d’anciens militaires de l’Empire ; toutes les autres par elles ou par les leurs ont rendu quelques services à l’État, le bureau de tabac en est la récompense. C’est là que chacune des soussignées trouve des moyens d’existence pour sa famille ; c’est là qu’elles entretiennent pour le maintien de l’ordre et de votre gouvernement un dévouement absolu.
Les personnes soussignées ont l’honneur d’être avec le plus profond respect, Sire, de votre majesté, les très humbles et très obéissantes servantes.