Une médaille contre la répression de la République romaine par Louis-Napoléon Bonaparte

Cette belle médaille a l'apparence formelle d'une médaille officielle sous la Deuxième République. Et pourtant elle vaut à ses auteurs et vendeurs un procès, en 1850. Elle conteste en fait, très subtilement, au nom même de la Constitution, l'intervention française contre la République romaine en 1849. Elle témoigne aussi d'une solidarité transnationale par le prisme des objets.

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

Une médaille subversive ?

A priori, la médaille présentée ici semble conforme aux normes du régime en place depuis 1848. On y lit la mention «République française », la constitution est citée, une urne rappelle l’importance du vote (masculin) et un niveau symbolise l’égalité présente dans la devise républicaine. Elle répond aussi aux standards des productions officielles : les détails sont fins et la taille — 12 cm de diamètre — n’est pas celle des médailles subversives de petit format.

Cependant, les producteurs ont été poursuivis en décembre 1850, démontrant la réactivité des autorités, car c’est au printemps de la même année que la production a eu lieu, et en juin que les médailles ont été saisies. Celles-ci étaient destinées à la vente en boutique, chez Dudout, qui s’était spécialisé dans ce commerce : il vendait, par exemple, des productions à l’effigie de Ledru-Rollin.

Ce procès intervient à un moment où la production de médailles a augmenté considérablement à la suite de la Révolution de février 1848. Certains accusés étaient aussi coupables de détenir des « armes et munitions de guerre », mais ce fut bien la médaille qui focalisa les débats judiciaires. Pourquoi une telle attention?

Une charge contre la politique romaine de Louis-Napoléon Bonaparte

Si la médaille inquiéta le pouvoir, c'est parce qu'elle critiquait ouvertement la politique étrangère de Louis-Napoléon Bonaparte, président de la République d’alors. La constitution prévoyait que la France « respecte[rait] les nationalités étrangères […] et n’emploie[rait] jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. » (art. V du préambule, représenté sur la médaille). Pourtant, ce ne fut pas le cas après la révolution romaine de 1849. Lorsqu'une République démocratique est proclamée à Rome en février 1849, mettant ainsi un terme (provisoire) à la souveraineté du pape, le gouvernement français envoya une expédition militaire contre les révolutionnaires romains. Les forces françaises, sous la direction du général Oudinot, participèrent ainsi au siège de Rome en juin 1849.

Les républicains les plus avancés s'en indignèrent, tel Ledru-Rollin. Il affirma que la République romaine était née d'une révolution « aussi sainte  que la révolution de février » (en France). Cette solidarité transnationale culmina le 13 juin 1849 quand quelques milliers de personnes défilèrent à Paris contre l'intervention française à Rome. La troupe les dispersa, mais les députés les plus à gauche de l’Assemblée — appelés Montagnards en référence à leurs ancêtres de 1793 — se rassemblèrent aux Arts-et-Métiers. Menés par Ledru-Rollin, ils se constituèrent en gouvernement provisoire, mais ne purent résister longtemps.

Ces mouvements de sympathie vis-à-vis d’autres peuples européens étaient fréquents au XIXe siècle : la Grèce dans les années 1820, la Pologne après 1830, etc. Mais la répression fut implacable en juin 1849, et cette journée révolutionnaire vite avortée. Des procès s’ensuivirent, entraînant l’exil de certains démocrates comme Ledru-Rollin.

La médaille incriminée reprend un motif d’une lithographie de Louis Marie Bosredon de 1848, baptisée « Le vote ou le fusil » par la postérité. On y voit un ouvrier, poitrine découverte, déposant d’une main un bulletin dans l’urne et reposant de l’autre un fusil à baïonnette. Ce dessin a souvent été analysé comme une invitation à substituer le vote direct au fusil : en réalité, le fusil reste légitime pour la défense de la patrie et la lutte contre « l’ennemi du dehors ». Sur la médaille, l’intention est plus explicite : le personnage ne dépose pas son arme — il la tient au contraire fermement —, tandis qu’il appuie son autre main sur la constitution, surmontée du drapeau de la « République romaine ».

Là est l’intention séditieuse : affirmer par les armes la fraternité des républiques française et romaine, au moment où cette dernière est réprimée par les troupes françaises. On peut y voir une allégorie en défense et illustration de la journée du 13 juin 1849, et une attaque du pouvoir exécutif. Une inscription de la médaille est à cet égard explicite : « aux défenseurs de la constitution le 13 juin 1849 ». L'article 110 de la constitution, gravé sur la médaille, renforce la charge : « L’Assemblée nationale confie le dépôt de la présente Constitution, et des droits qu’elle consacre, à la garde et au patriotisme de tous les Français. » La politique étrangère de Louis-Napoléon Bonaparte est ainsi contestée au nom même du droit.

Un procès mené dans une vague de répression médiatique

Après la journée du 13 juin 1849, une loi sur la presse fut adoptée le 27 juillet, portant un sérieux coup à de nombreux titres de presse et autres supports médiatiques. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le procès intenté aux producteurs de la médaille : six personnes ont été inculpées, accusées de l’avoir produite et mise en vente, et d'avoir dénoncé la politique extérieure du gouvernement.

Des perquisitions ont abouti à la saisie de dizaines de médailles. Malgré la défense habile du graveur Rogat, 3 personnes ont été condamnées : ce dernier à 2 000 francs d’amende, Dudout à six mois de prison et à 16 francs d’amende et Desjardins à 1 000 francs. Les condamnés interjetèrent appel, mais la condamnation fut confirmée en novembre 1851, un mois avant le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte qui n’escomptait pas quitter le pouvoir après quatre années de mandat présidentiel.

Auteur de l’étude :
Date de mise en ligne :
8 février 2024
En savoir plus :

Maurice Agulhon, Marianne au combat : l’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 2001.

Philippe Darriulat, Les patriotes : la gauche républicaine et la nation, 1830-1870, Paris, Éd. du Seuil, 2001.

Olivier Ihl, « Louis Marie Bosredon et l’entrée dans le “suffrage universel”. Sociogenèse d’une lithographie en 1848 », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2015, no 50, p. 139‑163.

Laurent Reverso (dir.), La République romaine de 1849 et la France, Paris, l’Harmattan, 2008.

Pour citer cette étude :

Marc-Antoine Quignodon, « Une médaille contre la répression de la République romaine par Louis-Napoléon Bonaparte », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 8 février 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/20.