Une médaille de la Commune : la manifestation des Parisiennes le 3 avril 1871
- Cette médaille, frappée par la Commune de 1871, célèbre et commémore un événement peu documenté de cette révolution : la manifestation des femmes en direction de Versailles, le 3 avril 1871. Elle permet de mettre au jour la question des rapports de genre au coeur de la révolution communaliste de 1871.
Analyse de l’objet
- Analyse de l’objet :
Une médaille pour valoriser l’action des communardes
Malgré sa courte vie, la Commune de Paris a su investir les institutions étatiques, notamment la frappe de la monnaie, afin d’exercer sa souveraineté. Zéphirin Camélinat, ouvrier bronzier, a été nommé le 3 avril 1871 à la tête de la Monnaie de Paris, organisme supervisant habituellement la production des médailles. C'est dans ce cadre que la médaille présentée ici a été frappée. Cependant, peu de médailles ont été conçues alors, en raison du contexte de guerre civile, rendant l’objet présenté ici d'autant plus précieux. Il représente et célèbre la manifestation du 3 avril 1871 : les Parisiennes souhaitent alors se rendre à Versailles afin de demander l’arrêt des combats au gouvernement d’Adolphe Thiers et réaffirmer la légitimité de la Commune.
L’avers comporte des inscriptions renvoyant au régime mis en place par les communards : on y lit « Commune de Paris » dans le champ et, autour, la devise « Liberté, égalité, fraternité ou la mort ». Cette dernière reprend celle de la Deuxième République (1848-1852) et y ajoute « la mort », rappelant ainsi le mot d’ordre « La liberté ou la mort » de la Révolution française. Sur le revers est inscrite la mention du régime au sein de l’espace circulaire extérieur, comme pour essayer de l’enraciner face aux contestations. Le cercle plus proche du champ donne la raison d’être de l’objet. L’inscription sonne comme un titre : « Manifestation des femmes rue de Rivoli et sur les boulevards ». La manifestation s’est en effet cantonnée aux limites de Paris, malgré la volonté des manifestantes d’aller à Versailles. Enfin, le champ est dévolu au récit de cette journée : « Le 3 avl 1871/ pendant que les Gdes Naux / se battaient / sur la route de Versailles / 1,000 femmes environ / parcouraient les rues / tambours et clairons en tête / au cri de / vive la République / vive la Commne ».
L’ensemble, presque exclusivement textuel, est juste émaillé par quatre symboles de petite taille. Deux bonnets phrygiens renvoient à la liberté en temps de révolution et de République. Le niveau signifie l'égalité civile, sociale et politique. Enfin, la poignée de main est une allégorie de la fraternité, déjà très présente en 1848.
L’ objectif de cette médaille est de montrer l’union des Parisiens et des Parisiennes, preuve de leur soutien au régime de la Commune. Les femmes y sont dépeintes comme des citoyennes, protagonistes actives au sein de l'espace public, et non comme de simples spectatrices cantonnées à la sphère domestique. La mention de l’usage de clairons et de tambours permet de les intégrer symboliquement aux combats en raison du rôle que jouent ces instruments sur le champ de bataille.
Une manifestation reçue différemment par la presse
Face à la concision de la médaille, les articles qui ont relaté l’événement divergent dans leur récit, tant factuellement que dans son interprétation. C’est le cas, notamment, quant au nombre de femmes présentes et des artères parcourues par les manifestantes. Surtout, les représentations véhiculées par les articles se démarquent de la médaille, et témoignent des positions anti ou pro-communardes.
Le journaliste du Bien public, Charles Vrignault, adopte un point de vue nettement critique. Il loue certes le comportement des Parisiennes durant le siège de Paris de l’hiver 1870-1871, en mettant en avant les sacrifices et les souffrances endurées. Mais il discrédite immédiatement l’initiative politique des communardes, qualifiée de « ridicule ». Pour lui, les femmes doivent rester de « bonnes ménagères », exclues de la sphère politique et militaire.
Les articles émanant des quotidiens pro-communards sont plus nuancés mais conservent une certaine perplexité quant à cette manifestation. Le journal L’Action, le 6 avril 1871, exprime son doute sur l’utilité de la démarche, sur un ton paternaliste : « Est-ce que les femmes de Paris s’imaginent que leur présence ferait cesser le feu des monarchistes? »
Une action politique qui s’inscrit dans le siècle des révolutions
Cette manifestation de Parisiennes désirant se rendre à Versailles rappelle un précédent remarquable. Les 5 et 6 octobre 1789, quelques milliers de femmes marchèrent jusqu’au château, exprimant notamment leur désespoir face au prix du pain, et obtenant le retour du couple royal à Paris. Mais le contexte et les motivations étaient bien différents. En 1871, l’objectif des Parisiennes était de demander un cessez-le-feu et de réaffirmer la volonté du peuple de Paris de rester libre. Elles ne purent, sans doute à cause des combats, se rendre au-delà des murs de la capitale.
Finalement, cette médaille reste une des rares marques de reconnaissance de l’action politique des femmes, octroyées par des hommes durant la Commune de Paris. Mais c’est bien la détermination des femmes qui leur a permis de s’engager dans l’action politique, et non une rupture radicale dans les rapports de genre induit par le gouvernement communaliste.
- Auteur de l’étude :
- Marc-Antoine Quignodon
- Date de mise en ligne :
- 31 juillet 2024
- En savoir plus :
Michel Cordillot (dir.), La Commune de Paris 1871, Les acteurs, l’événement, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Editions de l’Atelier, 2021.
Alain Dalotel, « La barricade des femmes », dans Jean-Marie Mayeur et Alain Corbin (dir.), La Barricade, Paris, Éditions de la Sorbonne, 1997, p. 341‑355. En ligne.
Edith Thomas, Les « Pétroleuses », Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2021 [1963].
Robert Tombs, Paris, Bivouac des Révolutions. La Commune de 1871, Paris, Libertalia, 2014 [1999].
- Pour citer cette étude :
Marc-Antoine Quignodon, « Une médaille de la Commune : la manifestation des Parisiennes le 3 avril 1871 », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 30 avril 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/225.