Une médaille sur la Commune : la manifestation des Parisiennes le 3 avril 1871
- Cette médaille, frappée a posteriori, commémore un événement peu documenté de la Commune de Paris : la manifestation des femmes en direction de Versailles, le 3 avril 1871. Produite dans une logique commerciale, cette médaille est profondément ambiguë.
Analyse de l’objet
- Analyse de l’objet :
Une médaille commémorative
Les centaines de médailles consacrées aux événements de la Commune de 1871 ont fait naître de très forts doutes sur leur authenticité. Van Peteghem, numismate renommé, en a comptabilisé 1 520 dans un ouvrage de 1889. Maxime Vuillaume, communard exilé en Suisse, les considérait comme massivement suspectes, "prétendues reliques de l’époque de la Commune de 1871". Les archives de l’entreprise Trotin, graveur en médailles, permettent de faire une partie de la lumière sur cette affaire. Il semble bien que, durant la Commune, la Monnaie de Paris n’ait pas directement produit de médailles. Cependant, certaines ont bien été frappées à ce moment-là, à l’instigation de graveurs qui ont ainsi pu fournir aux Français des objets brocardant Napoléon III ou célébrant le retour de la République.
La médaille étudiée ici relève d'une autre chronlogie et d'une autre logique : elle a été produite a posteriori, dans le cadre d'une production clandestine de fausses médailles se présentant comme des médailles de la Commune, et saisies par la police en 1873. Elle témoigne du besoin de commémoration d'une révolution à travers des objets vite devenus des objets de collection. Elle représente la manifestation du 3 avril 1871, manifestation de Parisiennes qui souhaitent se rendre à Versailles afin de demander l’arrêt des combats au gouvernement d’Adolphe Thiers et réaffirmer la légitimité de la Commune.
L’avers comporte des inscriptions renvoyant au régime mis en place par les communards : on y lit « Commune de Paris » dans le champ et, autour, la devise « Liberté, égalité, fraternité ou la mort ». Cette dernière reprend celle de la Deuxième République (1848-1852) et y ajoute « la mort », rappelant ainsi le mot d’ordre « La liberté ou la mort » de la Révolution française. Sur le revers est inscrite la mention du régime au sein de l’espace circulaire extérieur. Le cercle plus proche du champ donne la raison d’être de l’objet. L’inscription sonne comme un titre : «Manifestation des femmes rue de Rivoli et sur les boulevards». La manifestation s’est en effet cantonnée aux limites de Paris, malgré la volonté des manifestantes d’aller à Versailles. Enfin, le champ est dévolu au récit de cette journée : « Le 3 avl 1871/ pendant que les Gdes Naux / se battaient / sur la route de Versailles / 1,000 femmes environ / parcouraient les rues / tambours et clairons en tête / au cri de / vive la République / vive la Commne ».
L’ensemble, presque exclusivement textuel, est juste émaillé par quatre symboles de petite taille. Deux bonnets phrygiens renvoient à la liberté en temps de révolution et de République. Le niveau signifie l'égalité civile, sociale et politique. Enfin, la poignée de main est une allégorie de la fraternité, déjà très présente en 1848.
Echos de presse
La manifestation des femmes, faiblement documentée, a été évoquée par des articles de presse qui divergent dans leur récit, tant factuellement que dans son interprétation. C’est le cas, notamment, quant au nombre de femmes présentes et des artères parcourues par les manifestantes. Surtout, les représentations véhiculées par les articles témoignent de positions anti ou pro-communardes. Le journaliste du Bien public, Charles Vrignault, loue certes le comportement des Parisiennes durant le siège de Paris de l’hiver 1870-1871, en mettant en avant les sacrifices et les souffrances endurées. Mais il discrédite immédiatement l’initiative politique des communardes, qualifiée de « ridicule ». Pour lui, les femmes doivent rester de « bonnes ménagères », exclues de la sphère politique et militaire.
Les articles émanant des quotidiens pro-communards sont plus nuancés mais conservent une certaine perplexité quant à cette manifestation. Le journal L’Action, le 6 avril 1871, exprime son doute sur l’utilité de la démarche, sur un ton paternaliste : « Est-ce que les femmes de Paris s’imaginent que leur présence ferait cesser le feu des monarchistes? »
Une médaille ambiguë
Cette manifestation de Parisiennes désirant se rendre à Versailles rappelle un précédent remarquable. Les 5 et 6 octobre 1789, quelques milliers de femmes marchèrent jusqu’au château, exprimant notamment leur désespoir face au prix du pain, et obtenant le retour du couple royal à Paris. Mais le contexte et les motivations étaient bien différents. En 1871, l’objectif des Parisiennes était de demander un cessez-le-feu et de réaffirmer la volonté du peuple de Paris de rester libre. Elles ne purent, sans doute à cause des combats, se rendre au-delà des murs de la capitale. Finalement, la lecture politique d'une telle médaille est loin d'être évidente. Elle semble mettre en valeur l'action des femmes dans l'espace public, à la faveur d'une brèche révolutionnaire. Et pourtant... Sa visée commerciale et son adaptation aux regards dominants laissent aussi poindre une lecture ironique de l'événement : les femmes ne seraient alors pas à leur place dans cette marche avortée vers Versailles, répétition ratée d'une célèbre journée de la Grande Révolution. A moins que les deux lectures ne soient également possibles, afin de satisfaire des acheteurs dont les points de vue sur la Commune peuvent être divergents. La logique de marché l'emporterait alors sur la logique politique.
- Auteur de l’étude :
- Marc-Antoine Quignodon
- Date de mise en ligne :
- 31 juillet 2024
- En savoir plus :
Michel Cordillot (dir.), La Commune de Paris 1871, Les acteurs, l’événement, les lieux, Ivry-sur-Seine, Les Editions de l’Atelier, 2021.
Alain Dalotel, « La barricade des femmes », dans Jean-Marie Mayeur et Alain Corbin (dir.), La Barricade, Paris, Éditions de la Sorbonne, 1997, p. 341‑355. En ligne.
Edith Thomas, Les « Pétroleuses », Paris, Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2021 [1963].
Robert Tombs, Paris, Bivouac des Révolutions. La Commune de 1871, Paris, Libertalia, 2014 [1999].
- Pour citer cette étude :
Marc-Antoine Quignodon, « Une médaille de la Commune : la manifestation des Parisiennes le 3 avril 1871 », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 30 avril 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/225.