Une médaille royaliste : Henri de France, prétendant au Trône

En pleine révolution de 1848, cette médaille à l'effigie d'Henri de France, petit-fils de Charles X et prétendant au trône sous le nom de "Henri V", pourra paraître anachronique. C'est oublier que la souveraineté apparaît alors disponible, et que les légitimistes utilisent les armes de leurs adversaires pour diffuser massivement l'image de leur héros.

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

Une médaille légitimiste au siècle des révolutions

Cette médaille royaliste de 1848 présente le profil d’Henri de France, un homme d’âge moyen portant des favoris. Ce nom renvoie à celui, plus connu, du comte de Chambord, dernier représentant de la monarchie bourbonienne. A priori, l’objet paraît anachronique dans un siècle où les révolutions ont façonné une nouvelle souveraineté politique, nationale ou populaire. Au revers, l’inscription « Dieu le veut » renforce ce décalage à un moment où l’exercice du pouvoir se légitime de plus en plus par la volonté populaire. Notamment à travers des élections, restreintes à une élite sous les monarchies censitaires (1814-1848),  ou ouvertes à l’ensemble de la population adulte masculine à partir de 1848. L’inscription hébraïque – Yahvé – dans un triangle rayonnant obscurcit encore le message. Les fleurs de lys, quant à elles, renvoient clairement à la dynastie des Bourbons. La date de fabrication de cette médaille (1848) n’est paradoxale qu’en apparence : la révolution de février 1848 et la chute de Louis-Philippe, en rebattant les cartes de la légitimité, ouvre une pluralité de possibles. Le trône serait-il de nouveau disponible pour un Bourbon aîné ?

Henri d’Artois, personnage central au mitan du XIXe siècle

Celui que l’on connaît comme comte de Chambord a été désigné de diverses manières au cours de son existence, témoignant de ses multiples vies. Il naît Henri d’Artois le 29 septembre 1820, sous le règne de son grand-oncle, Louis XVIII. Il est le fils posthume du duc de Berry, assassiné en février 1820 par un ouvrier sellier bonapartiste, Louvel. Après le choc de cet attentat, perçu comme un quasi régicide, la naissance d’un garçon est vue comme un miracle : Henri devient un potentiel héritier du pouvoir royal. L'hypothèse se renforce quand son grand‑père monte sur le trône, sous le nom de Charles X, en 1824.
Ces éléments font de lui un personnage public puissamment célébré, comme le montrent les 30 00 médailles fabriquées pour honorer sa naissance. Une telle promotion par l’intermédiaire de la médaille s’inscrit dans une tradition pluriséculaire de célébration des membres de la famille royale.

Mais les événements politiques du siècle déjouent les attentes royalistes. La révolution de juillet 1830 contraint Charles X à abdiquer, en théorie en faveur de son petit‑fils, mais son âge, 9 ans, ne lui permet pas de régner, sous le nom d’« Henri V ». C’est le duc d’Orléans qui devient alors roi sous le nom de Louis‑Philippe Ier. L’échec du soulèvement tenté par sa mère, la duchesse de Berry, en 1832, accentue sa position d’opposant, d’autant plus qu’il vit en exil depuis 1830.

Un objet témoignant des espoirs légitimistes

À l’occasion de ce soulèvement de 1832, de nombreuses médailles à l’effigie d’« Henri V » sont déjà diffusées. Les matériaux choisis ne sont pas ceux privilégiés durant l’Ancien Régime, mais bien plutôt le zinc, le cuivre, l’étain ou le laiton. Leur cours, moins élevé que ceux qualifiés de nobles, permet d’en fabriquer davantage. C’est aussi pour cela que les médailles irriguent le marché clandestin des objets séditieux dès le début de l’année 1832, et que des procès sont intentés à ceux qui les ont fabriquées, vendues ou distribuées. Les investigations visent également des militaires et membres de l’ancienne noblesse, comme le comte de Monière, chez qui 56 médailles sont saisies.
À l’avers de la médaille proposée ici, l’inscription « Henri de France » démontre les ambitions du petit‑fils de Charles X et de ses soutiens. Il est présenté comme le roi légitime du pays, à un moment où la République renaît après une éclipse de 44 années. C’est une volonté de retour à l’Ancien Régime qui est exprimée, et non à une monarchie contractuelle. Qualifié de roi « de France » (et non « des Français »), il ne tient pas son pouvoir des citoyens mais de Dieu. Cette source de légitimité est soulignée par l’inscription « Dieu le veut » au revers.
Or, en 1848, à la faveur de la révolution, la souveraineté paraît disponible, ce qui explique le désir des royalistes de diffuser massivement le portrait métallique du comte de Chambord.
Ses partisans les plus zélés ont pu distribuer en pleine rue des médailles à son effigie, comme à Marseille et dans les faubourgs de l’Est parisien. Certains conspirateurs les exhibent également à leurs acolytes chez des marchands de vin pendant qu’ils portent un toast au retour imminent de la monarchie absolue. Ils les utilisent aussi comme un moyen de reconnaissance : les médailles sont parfois pourvues d’une bélière, petit anneau placé vers le haut, pour les porter autour du cou ou sur un vêtement. Dans le même temps, leur taille réduite, souvent moins de trois centimètres, permet de les dissimuler aisément.
Ces caractéristiques inhérentes à la médaille — qui permettent de la soustraire au regard ou au contraire de l’exhiber à la vue de tous — expliquent que les légitimistes aient choisi cet objet pour diffuser amplement la cause du comte de Chambord.

 

Auteur de l’étude :
Date de mise en ligne :
3 septembre 2024
En savoir plus :

Maurice Agulhon, 1848 ou l’apprentissage de la République, 1848–1852, Paris, Seuil, coll. « Nouvelle histoire de la France contemporaine », tome 8, 1973.

Gilles Malandain, L’Affaire Louvel, ou l’introuvable complot. Evénement, enquête judiciaire et expression politique dans la France de la Restauration, Paris, Editions de l’EHESS, 2011.

Jean-Noël Tardy, L’Âge des Ombres, Complots, conspirations et sociétés secrètes, Paris, Les Belles Lettres, 2015.

Emmanuel de Waresquiel (dir.), Les Lys et la République, Henri, comte de Chambord, 1820-1883, Paris, Tallandier, 2015.

Pour citer cette étude :

Marc-Antoine Quignodon, « Une médaille royaliste : Henri de France, prétendant au Trône », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le‑3 septembre 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/255.