Le régicide en assiette : une fausse évidence

Depuis la fin du XVIIIe siècle, les céramiques figurant des scènes d’actualité politique se répandent. Cependant, cette assiette représentant l’exécution du roi Louis XVI a vraisemblablement été produite à la fin du XIXe siècle, alors que l'imagerie du régicide cristallise les souvenirs de la Révolution.

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

L’assiette est-elle révolutionnaire ?

Qui s’étonnera de voir une assiette représentant d’une façon très réaliste l’exécution du roi Louis XVI en 1793 ? Rien ne manque : l’échafaud, la guillotine, le bourreau et ses assistants, l’exhibition de la tête coupée et, plus symboliquement, le cavalier imposant qui marque la bordure. Sa présence n’est pas anecdotique, même si l’incertitude demeure sur son identité. Il s’agit manifestement de Santerre, riche brasseur sans-culotte, alors commandant de la garde nationale, qui fit couvrir, par les tambours, la voix de Louis XVI pour l’empêcher de protester de son innocence devant les milliers de spectateurs, place de la Révolution (actuelle place de la Concorde).

La mise à mort publique du roi, le 21 janvier 1793, est incontestablement l'un des événements marquants de l’histoire de la Révolution française et même de toute l’histoire de France, puisqu’elle met fin au régime monarchique millénaire et fait entrer le pays dans la vie politique concurrentielle, celle que nous connaissons aujourd’hui. Sa représentation sur une assiette décorative se justifie amplement, à la manière des estampes contemporaines de l’événement. Cette évidence doit pourtant être nuancée et même mise en cause en inscrivant cet objet dans son contexte historique.

Nouveau média

Cette assiette semble de prime abord relever d’une mode fort répandue à la fin du XVIIIe siècle en France. De multiples manufactures produisent alors des faïenceries destinées à être accrochées à un mur ou installées dans un dressoir, pour orner les intérieurs des notables, curés, propriétaires, mais aussi des boutiquiers, artisans, gros fermiers, mariniers… L’enrichissement des classes moyennes du pays dans la seconde moitié du XVIIIe siècle explique le succès de cette production, les acheteurs étant particulièrement séduits par les saladiers, soucoupes ou assiettes qui leur sont dédiés et qui rappellent leurs noms, leurs statuts ou leurs professions.

Dans les dernières décennies du siècle, l’intérêt est accru par l’écho donné par ces objets aux événements nationaux importants, ce qui en change la signification. En 1785, « l’affaire du collier » de la reine, la rocambolesque histoire d’un cardinal libertin accusé d’avoir voulu séduire la reine en commandant un somptueux bijou, est ainsi le sujet d’une assiette sortie d’un atelier de Nevers mettant en cause la réputation de Marie‑Antoinette. Non seulement l’assiette « parlante » - celle qui parle de l’actualité et pas seulement de son acquéreur – permet la rencontre entre un « art » populaire et la diffusion des nouvelles mais elle participe à la mobilisation de l’opinion.

L’ouverture des Etats généraux et l’entrée en révolution à partir de l’été 1789 sont logiquement amplement représentées sur ces supports, même s’il est probable que les premières faïences à décor révolutionnaire n’aient été réalisées que dans l'automne 1789. L'apogée de la production est atteinte dans les années 1790‑1792. Après ce pic, celle-ci diminue progressivement devant la complexité de l’évolution politique avant de se rétablir en s’intéressant au général Bonaparte puis à l’empereur Napoléon.

Le dessin peut apparaître simpliste, voire rudimentaire, mais il rend compte de l’état de l’opinion « moyenne » essentiellement autour des événements parisiens ou versaillais. Sans surprise, la prise de la Bastille est l’événement le plus représenté, même s’il est simplifié à l’extrême, résumé à quelques hommes attaquant une forteresse moyenâgeuse. Les enjeux politiques sont symbolisés par les combinaisons - changeantes au fil du temps - de signes évocateurs : la crosse épiscolpale, la bêche et l’épée renvoient au clergé, à la noblesse et au Tiers-Etat ; la couronne, le faisceau des licteurs et la pique ou le bonnet signifient la monarchie, la République ou la sans-culotterie. Significativement la formule « W la nation » (vive la nation) disparaît des assiettes alors qu’apparaît un oiseau multicolore perché sur un fût de canon, et que l’image du coq vindicatif se répand, allusion à l’effort de guerre contre les ennemis extérieurs et intérieurs.

Une production du XIXe siècle ?

Dans cet ensemble d’assiettes révolutionnaires, la représentation de la décapitation du roi demeure marginale voire absente, alors même qu’une autre assiette avait pu, en présentant la décapitation d’un condamné anonyme, assurer l’intérêt humanitaire de la guillotine. Peu fréquentes également sont les assiettes mettant en scène des contre‑révolutionnaires, pourtant protagonistes essentiels de toute la période. Ceci illustre les limites de ce média qui participe à la fabrication d’un mode de vie demeuré discuté au XVIIIe siècle.

L’assiette représentant l’exécution de Louis XVI semble en fait très postérieure à l’événement. Champfleury, grand collectionneur de « faïences patriotiques » au XIXe siècle, nie catégoriquement l’existence d’une telle assiette en France pendant la Révolution. Il constate en revanche le grand succès d’assiettes figurant le régicide à partir des années 1870, produites, selon lui, par des « faussaires ». L’erreur de date sur l’assiette – « l’an second de la République française » au lieu de l’an I – ajoute un argument à l’appui de cette thèse. De fait, la fabrication de faïences se donnant pour révolutionnaires est relancée sous la IIIe République.

Cette dernière s’est fondée en s’appuyant sur des souvenirs révolutionnaires « républicains », nous léguant d’innombrables copies toujours vendues dans les brocantes. Si cette assiette a bel et bien participé à la politisation populaire du « siècle des révolutions », elle l’aurait donc fait de manière rétrospective.

Auteur de l’étude :
Date de mise en ligne :
22 octobre 2024
En savoir plus :

Maïté Bouyssy et Jean-Pierre Chaline (dir.), Un media de faïence, l’assiette historiée imprimée, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012. 

Maïté Bouyssy, « Les premières assiettes de propagande napoléonienne », Bulletin des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, n° 81, publication du colloque Pôles de production et échanges belgo-luxembourgeois autour de la faïence fine (XVIIIe-XIXe), Bruxelles, 2010, p. 129-151.

Philippe Hamman, « Une entreprise de propagande bonapartiste, les assiettes à décors de Sarreguemines, 1836-1870 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2006-2, p. 140-161.

Champfleury, Histoire des faïences patriotiques sous la Révolution, Paris, Dentu, 1875 (3ème édition).

Edith Mannoni, Faïences révolutionnaires, Paris, Massin, 1989.

Pour citer cette étude :

Jean-Clément Martin, « Le régicide en assiette : une fausse évidence », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 22 octobre 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/462.