Un éventail commémoratif : la marche des Parisiennes en octobre 1789

Cet éventail en papier, de facture modeste, célèbre la marche des Parisiennes ramenant le roi et sa famille de Versailles, en octobre 1789. Il s'inscrit dans la vogue des éventails politiques, reprenant caricatures, extraits de chansons et scènes d'actualité, qui entrent dans la gamme des accessoires féminins populaires.

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

À la mémoire des héroïnes parisiennes du 6 octobre

Cet éventail renvoie à l'actualité des 5 et 6 octobre 1789, journées révolutionnaires marquées par une très forte participation féminine. Alors que le roi Louis XVI refuse de sanctionner certains décrets pris par l'Assemblée nationale, et que le prix du pain augmente, un cortège de femmes (notamment des dames de la Halle, désignées comme des "poissardes") escortées de gardes nationaux, se rend à Versailles et demande à parler au roi.  Le lendemain, le 6 octobre, le cortège ramène la famille royale à Paris. L’éventail plié, de facture modeste, représente une partie de ce cortège. Il met en scène deux femmes perchées sur un canon tiré par deux chevaux propulsés par le fouet d’un patriote cocardé. La femme révolutionnaire à gauche pointe le doigt vers une de ses compagnes, qui exhibe des trophées pris à un garde du corps : une épée et un baudrier. Ce geste triomphant va de pair avec un tête-à-tête entre la seconde femme révolutionnaire et le garde-française à son côté. Au fond, un homme du peuple coiffé d’un bonnet phrygien salue ce transport insolite, alors qu’une dame et un monsieur paraissent stupéfaits, voire effrayés.

Des branches d’arbre sont également agitées en triomphe par l'une des révolutionnaires et par le personnage central. Signes du mouvement populaire qui s’associe parfaitement au décor végétal de la composition, ces rameaux correspondent à la description du cortège publiée par Élysée Loustalot dans les Révolutions de Paris du 12 octobre 1789 : « Des femmes portant des hautes branches de peuplier, ouvroient la marche ; une centaine de gardes nationales à cheval vinrent ensuite, puis les grenadiers & les fusiliers ; les canons étoient entre chaque compagnie, qui étoit entremélée de femmes, de gardes du corps [...]. »

Sous un format réduit, l’image de la feuille d’éventail donne une version adoucie de la marche du 6 octobre ramenant la famille royale de Versailles à Paris. D'autres objets politiques dévoilent un autre imaginaire social et politique de cette marche : ainsi, le couvercle d’une tabatière représente le physique vigoureux des « poissardes », leur habillement grossier et la force puissante de leur mouvement armé en masse. Parmi plusieurs d’autres modèles disponibles, l’éventailliste s'est quant à lui inspiré de la caricature la moins militaire et la plus « galante », intitulée Le Retour triomphant des Héroïnes Françaises de Versailles à Paris le 6 Octobre 1789. D’ailleurs, travaillant en toute hâte, il a confondu les jours en nommant sa copie Les Parisiennes à Versailles.

Le dialogue du texte et de l’image

Toutefois, à l’ambiance presque idyllique de l’image s’oppose l’impétuosité des quatre couplets gravés dans les cartels latéraux de la feuille. À chanter sur l’air de Ma Doris un jour s’égara (mélodie populaire provenant d'un opéra-comique, Renaud d’Ast, de Dalayrac), ils raniment la haine de « l’infâme Aristocratie » et la hantise du complot, l’une et l’autre réveillées par l’« orgie » du régiment de Flandres à Versailles (le banquet durant lequel des cocardes noires ou blanches - et non tricolores - auraient été arbordées). Et le troisième couplet de menacer les aristocrates des femmes du peuple décidées à se révolter contre le joug de l’oppression :

« Craignez jusqu’aux bras irrités
D’un sexe peu fait pour les armes
Assez longtems, cœurs détestés
Vous avez fait couler ses larmes
Méprisant l’horreur des combats
Il vous prouva par son courage
Qu’il sait affronter le trépas
Pour se soustraire à l’esclavage »

Un média populaire hybride

Petits objets d’apparence modeste, les éventails de la période révolutionnaire se distinguent sur plusieurs points de leurs prédécesseurs luxueux et galants sous l’Ancien Régime. D’abord, par leur sobriété matérielle : à la peinture sur soie se substitue la gravure sur papier imprimée en série ; à la monture en ivoire ou en nacre succède la monture en bois ; avec des brins moins nombreux, le format se réduit. Ensuite, par le caractère politique de leur contenu, en écho aux événements de la Révolution, contenu épicé de sous-entendus satiriques. Enfin et surtout, par l’art de leur composition : des copies en miniature de caricatures en vogue associées à des chansons patriotiques et des écrits extraits des pamphlets et de la presse. Média hybride visant surtout une clientèle féminine élargie et patriotique, ces éventails font partie d’une culture semi-orale, proche du vaudeville et du théâtre, culture populaire refoulée par les Lumières des élites, mais revenant en force sous la Révolution.

En savoir plus :

Dominique Godineau, Citoyennes tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris pendant la Révolution française, Alinéa, Aix‑en‑Provence 1988.

Joan B. Landes, Women and the public sphere in the age of the French Revolution, Ithaca / N.Y., Cornell UP 1988.

Les femmes et la Révolution française, 3 vol., Toulouse : Presses Universitaires du Mirail 1989-1991.

Sara E. Melzer (éd.), Rebel daughters : women and the French Revolution, New York / Londres, Oxford UP, 1992.

Rolf Reichardt, Éventails symboliques de la Révolution : Sources iconographiques et relations intermédiales, Rennes, PUR, 2024.

Katie Jarvis, La politique sur les marchés
Travail, genre et citoyenneté dans la France révolutionnaire
(traduit par Mathilde Ray), Rennes, PUR, 2023.

Pour citer cette étude :

Rolf Reichardt, «Un éventail commémoratif : la marche des Parisiennes en octobre 1789 », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 23 octobre 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/471.