Un insigne de combattant vendéen
- Fabriqué soit en 1815, soit en 1832, lors des soulèvements de la Vendée, cet insigne est constitué d’un Sacré-Cœur de velours rouge cousu sur un rectangle de drap blanc à bords dentelés, brodé d’un « Dieu le Roi » en fils bruns. Cet emblème politico-religieux rappelle la mémoire de la Révolution.
Analyse de l’objet
- Analyse de l’objet :
Une dévotion de combat
Cet insigne est constitué d’un Sacré-Cœur de velours rouge cousu sur un rectangle de drap blanc à bords dentelés. L’inscription « Dieu le Roi » est brodée en fils bruns. Il a été réalisé et distribué soit à l’occasion du soulèvement vendéen de 1815, soit lors de celui de 1832, et s’inspire de modèles antérieurs diffusés pendant la période révolutionnaire.
Présente dans certains ordres religieux depuis le Moyen Âge, la dévotion au Sacré-Cœur se développe après l’annonce d’apparitions du Christ à Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690), une religieuse visitandine de Paray-le-Monial. Les fidèles sont invités à porter sur eux l’image de ce cœur, tel que le Christ est réputé l’avoir montré à Marguerite-Marie – entaillé, saignant, entouré de la couronne d’épines et surmonté de la croix –, pour honorer l’amour infini de Dieu, sauveur de l’humanité pécheresse par l’entremise de son fils crucifié. Cette dévotion devient aussi un recours en période de crise, comme lors de la peste de Provence de 1720-1721 : prier le cœur de Jésus est un moyen pour le croyant de supporter les effets de la colère divine, de participer à l’expiation des péchés collectifs et de se livrer à l’amour divin dans l’espoir de la rédemption. La dévotion connaît un grand essor dans les années 1720-1730 à l’initiative des évêques français qui veulent proposer un contre-modèle théologique à la piété janséniste. La papauté est longtemps réticente avant d’accepter en 1765 d’instituer une fête du Sacré-Cœur à la date du 11 juillet. Au Sacré-Cœur de Jésus est aussi souvent associé, dans les prières et dans l’iconographie, celui de la Vierge Marie. La dévotion se répand dans l’Europe catholique et dans les Amériques. Dans les années 1780, elle est surtout portée par les réseaux catholiques intransigeants qui se sont organisés à l’échelle européenne pour contrer les progrès de « l’impiété philosophique » et de « l’hérésie » janséniste.
Un outil de mobilisation religieuse contre la Révolution française
Lorsque l’Assemblée nationale constituante impose au clergé français une profonde réforme administrative, fondée sur le principe de la collégialité et de l’utilité sociale, la constitution civile du clergé (12 juillet 1790), la grande majorité des évêques la refuse et les catholiques français se divisent. L’Église réfractaire, constituée des prêtres et des fidèles qui rejettent la réforme et le serment qui lui est associé, est en principe tolérée, mais elle subit à partir du printemps 1791 des vexations, parfois violentes, des privations de lieux de culte et des mesures locales de proscription.
Dans ce contexte, le sentiment de vivre un temps de persécution s’ancre dans les esprits, favorisant le recours à la dévotion au Sacré-Cœur comme source de consolation et d’espoir. Des centaines de milliers d’images imprimées, dessinées ou brodées sont diffusées dans toute la France en 1791-1792, fabriquées par des religieuses ou par des imprimeurs rémunérés par le clergé réfractaire. Les réseaux intransigeants, structurés par d’anciens jésuites, en sont les principaux propagateurs. Du côté des autorités révolutionnaires, le succès de ces images est perçu comme la preuve de l’existence d’un complot « fanatique » visant à manipuler les esprits trop crédules. D’objets de dévotion, les images du Sacré-Cœur deviennent des objets séditieux, motivant notamment la mise à mort de leurs détenteurs lors des massacres de septembre 1792 à Paris et en province.
Lorsque au printemps 1793, des paysans de l’Ouest, membres de l’Église réfractaire, se soulèvent contre la levée des 300 000 hommes ordonnée par le gouvernement républicain, le Sacré-Cœur devient assez naturellement l’emblème de la révolte, que ce soit en Bretagne avec les chouans ou au sud de la Loire, dans le territoire que la Convention qualifie de « Vendée ». Dans cette dernière région, la dévotion au Sacré-Cœur appuie parfaitement le caractère sacrificiel d’une mobilisation armée pensée comme une croisade contre « l’hérésie » et « l’impiété ». Enveloppé de l’amour du Christ, le combattant vendéen risque sa vie pour le triomphe de la « vraie foi » et pour le rétablissement de la monarchie bourbonienne, protectrice de l’Église catholique. À la fois talisman et signe de reconnaissance, l’image du Sacré-Cœur surmonté de la croix est découpée dans des pièces de tissu de couleur rouge et cousue, directement ou sur un support de drap, sur la veste ou sur le gilet. Certains le portent aussi en scapulaire, attaché à un ruban et pendant sur la poitrine, sous la chemise, parfois avec des prières spécifiques au revers. Sa possession devient un facteur incriminant décisif lors de la violente répression qui s’abat sur le territoire insurgé en 1793-1794.
Un emblème politico-religieux entre histoire et mémoire
Après la pacification de 1795-1796, l’insigne du Sacré-Cœur continue d’être porté par les chouans, avant d’être utilisé lors du grand soulèvement de 1799 qui s’achève par la défaite du camp royaliste. Sous la première Restauration en 1814, le Sacré-Cœur devient un symbole de la fidélité des combattants à la cause des Bourbons. Lorsque la Bretagne et la Vendée militaire se mobilisent – difficilement – pendant les Cent-Jours, des insignes en tissu sont spécialement fabriqués avec l’inscription « Dieu et le roi », pour mieux souligner l’engagement royaliste des combattants. Ces emblèmes sont à nouveau distribués dans l’Ouest en juin 1832 lors du soulèvement en soutien à la duchesse de Berry. Après l’échec de cette ultime prise d’armes, le Sacré-Cœur est érigé en symbole légitimiste, marqueur de fidélité à la religion catholique et à la branche aînée des Bourbons. Les insignes en tissus utilisés pendant les guerres de Vendée, entre 1793 et 1832, sont conservés précieusement par des familles d’anciens combattants ou collectionnés par des royalistes, à l’instar de cet exemplaire conservé dans un cadre fleurdelysé. Certains de ces objets, patrimonialisés, sont entrés dans les collections des bibliothèques et des musées de l’Ouest.
- Auteur de l’étude :
- Paul Chopelin
- Date de mise en ligne :
- 24 février 2024
- En savoir plus :
Jean-Marie Crosefinte, Le Sacré-Cœur, insigne du combattant vendéen, Niort, Chez l'auteur, 2018.
Raymond Jonas, France and the cult of the Sacred Heart : an epic tale for modern times, Berkeley, University of California Press, 2000.
Jean-Clément Martin, La Vendée de la mémoire : 1800-2018, Paris, Perrin, 2019.
Claude Petitfrère, Les Vendéens d'Anjou : 1793, analyse des structures militaires, sociales et mentales, Paris, Bibliothèque nationale, 1981.
- Pour citer cette étude :
Paul Chopelin, « Un insigne de combattant vendéen », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 23 février 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/69.