Les grenades d’Orsini contre Napoléon III : « l’ouragan homicide »

En janvier 1858, le patriote italien Orsini fait exploser trois grenades de son invention au passage de la voiture de Napoléon III, auquel il reproche de faire obstacle à l'Unité italienne. L’utilisation d’armes explosives lors d'attentats s’inscrit dans une pratique politique de plus en plus répandue au cours du siècle. La "bombe Orsini" devient le symbole d'une arme d'insurrection ou d'assassinat, selon le regard adopté. Elle sera éclipsée ensuite par la dynamite

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

Des grenades meurtrières

Trois grenades de ce type sont utilisées le 14 janvier 1858 au moment où Napoléon III et l’impératrice Eugénie se rendent à l’Opéra, situé alors rue Le Peletier à Paris. Une première explosion se fait entendre, suivie de deux autres. La voiture impériale, protégée par des plaques de fer, est criblée de 76 projectiles. L’empereur et l’impératrice en sortent indemnes. « L’ouragan homicide », selon les mots de Claude, chef de la police de sûreté, entraîne un lourd bilan : huit morts et 156 blessés. L’attentat est l’œuvre de Felice Orsini, un patriote italien, et trois complices. D’abord proche de Mazzini et d’une voie « insurrectionnelle », Orsini se révèle partisan de la conspiration et de l’attentat. C’est en Angleterre qu’il a conçu ces grenades ingénieuses, au procédé sophistiqué, et qu’il les a testées avec l’aide d’un armurier, Joseph Taylor. Chaque grenade est constituée de la même façon. De forme cylindrique, elle est longue de 9,5 cm et a un diamètre de 7,3 cm. Elle est couverte de petites capsules, remplies de fulminate de mercure. L’intérieur est garni de poudre, de chevrotines, de fragments de clous et de morceaux de fer. Légère, puisqu’elle pèse 1,5 kg, elle est destinée à être lancée. Le contact avec le sol doit provoquer l’explosion des capsules, puis de l’ensemble de la grenade qui se divise en un nombre infini d’éclats.

L’échec d’un tyrannicide

L’attentat d’Orsini n’est pas la première tentative d’assassinat contre Napoléon III. Il s’inscrit dans une période où le thème du tyrannicide resurgit, où de nombreuses rumeurs annoncent la mort violente de l’empereur. Il est question de fauteuils explosifs, de coups de feu tirés par des gardes du corps ou des soldats. Loin de s’apaiser après le 14 janvier, les fausses nouvelles perdurent et sont scrupuleusement enregistrées par les autorités. Elles s’enchevêtrent avec le flot de paroles que fait naître l’attentat, recueilli lui aussi avec beaucoup d’appréhension, car signe d’une politisation de la société et notamment des catégories populaires. À l’approbation du geste et au regret de son échec se joignent des propos menaçants. Un tailleur d’habit lance dans un cabaret en Seine-et-Marne : « Tant pis qu’ils n’aient pas réussi, ils seront obligés de recommencer ». Si les discours mentionnent parfois la nationalité des auteurs de l’attentat, peu d’entre eux s’attardent sur le procédé utilisé.

Répression et postérité

Lors de son procès, Orsini se montre embarrassé à justifier l’usage des grenades. Son but était de tuer Napoléon III, obstacle principal selon lui à la constitution de l’Unité italienne, en raison notamment de la protection apportée au pape dont il a contribué à rétablir l’autorité dans ses États pontificaux en 1849. Il rappelle son aversion pour le meurtre et exprime des regrets pour les nombreuses victimes. Si son avocat, Jules Favre, plaide pour la dimension purement politique du geste, les magistrats soulignent « l’énormité du forfait » et rejoignent le discours convenu des contemporains qui, à chaque attentat, dénoncent le fanatisme, voire la folie, des « entrepreneurs nomades de l’assassinat ». La répression se veut néanmoins politique. La loi de sûreté générale, promulguée le 27 février 1858, permet de punir de prison toute tentative d’opposition et autorise l’arrestation et la transportation des personnes condamnées pour délit politique depuis 1848. Elle prend également en considération la dimension matérielle de l’attentat et prévoit une peine de prison de 6 mois à 5 ans pour la fabrication et la détention de « machines meurtrières agissant par explosion ».

Au cours de la décennie 1860, les grenades sont perfectionnées, remaniées, déclinées en de multiples variantes. Elles sont utilisées lors d’attentats et figurent au cœur de nombreux complots anarchistes, nihilistes et nationalistes, en Europe et dans le monde. Elles constituent l’arme idéale pour ceux qui entendent doter le peuple d’une capacité d’action meurtrière. Non sans exagération, la presse développe un imaginaire autour de ce qu’elle qualifie de manière indistincte les « bombes Orsini » et y voit le symbole, tantôt de l'assassinat, tantôt de l'insurrection. Éclipsées à partir des années 1870 par la dynamite et sa puissance dévastatrice, les grenades sont encore mobilisées de manière ponctuelle, comme lors de l’attentat au Grand Théâtre du Liceu à Barcelone, en 1893. Gaudi y fait allusion à travers sa sculpture, la « Tentation de l’homme » , placée dans un recoin de la Sagrada Familia : un anarchiste se voit remettre par le Diable une grenade semblable à celle d’Orsini.

Auteur de l’étude :
Date de mise en ligne :
29 mars 2024
Pour citer cette étude :

Karine Salomé, « Les grenades d’Orsini contre Napoléon III : « l’ouragan homicide », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 29 mars 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/121.