Un « tract sur métal» lyonnais pour la République démocratique et sociale

Loin de la traditionnelle médaille commémorative, la médaille ici présentée devient une sorte de "tract sur métal" en pleine révolution de 1848. On y grave des revendications et des symboles qui attaquent les conservateurs et suscitent en retour une peur sociale et politique.

Analyse de l’objet

Analyse de l’objet :

Un tract sur métal

Cette médaille lyonnaise de 1848 propose un véritable programme politique. À l’avers, le message circulaire « République démocratique et sociale » est explicite. En cette première année de la Seconde République, deux conceptions s’affrontent pour savoir quelle forme prendra le nouveau régime. La vision affichée ici est celle d’une République qui inclut pleinement le peuple, non seulement par le suffrage universel (masculin), mais aussi par les droits naturels et sociaux, placés plus haut que la propriété. L’autre camp, en revanche, estime que seuls les droits politiques sont fondamentaux, entraînant une relégation des mesures sociales.

Au‑dessous, dans le champ, la devise « Vivre en travaillant ou mourir en combattant », souvenir de 1831, s’inscrit aussi dans les débats de 1848. Les travailleurs réclament le droit au travail pour éviter la misère. Si cela est impossible, alors, ils prendront les armes, signifiant que la souveraineté peut s’exercer directement par la révolte et que la citoyenneté demeure combattante. Le revers est plus menaçant, comme le montre le texte : « Aristocrates, Modérés, / Egoïstes, tremblez ! tremblez ! / A la 1re tentative portée à la liberté, / les ondes ensanglantées du Rhône / et de la Saône charriront (sic) vos / cadavres aux mers épouvantées. » Les travailleurs identifient donc plusieurs groupes qui menacent leurs intérêts : les aristocrates désignent les légitimistes ; les modérés sont ceux qui veulent une République bourgeoise ; les égoïstes renvoient à ceux qui refusent un partage plus équitable des richesses.

Les symboles viennent appuyer les inscriptions. Ceux de l’avers occupent le haut du champ alors que le revers affiche un petit bonnet phrygien. Les deux paires de poignards en sautoir rappellent le rôle central des armes en révolution, tout en renvoyant à l’imaginaire du tyrannicide. La hache est un attribut traditionnel du faisceau de licteur des consuls romains, repris par la République. S’y ajoutent deux bonnets phrygiens : l’un au sommet de la hache et l’autre au revers. Ce signe symbolise la liberté émancipatrice. Déjà attesté durant l’Antiquité, il est ensuite porté par les révolutionnaires du faubourg Saint‑Marcel à partir de 1789, puis se généralise en 1792.

 

Une médaille de combat pétrie de références

Les inscriptions de la médaille renvoient à des événements historiques lyonnais. La formule « Vivre libre en travaillant ou mourir en combattant » est celle que les canuts (les tisserands de la soie) ont arborée au cours des révoltes de 1831 et 1834. La première avait débouché sur un contrôle et un gouvernement de la ville pendant plusieurs semaines. La médaille provient donc certainement de ces mondes ouvriers où des sociétés plus ou moins secrètes avaient été créées, dont la plus célèbre était celle des Voraces. Le revers porte aussi des références historiques, mais, cette fois, à la Révolution française. L’inscription évoque « 93 » et le « peuple ». À cette date, la Première République n’a pas un an et est engagée dans des guerres intérieure et extérieure. A Lyon, la situation était très tendue entre le maire girondin, Nivière‑Chol, et Chalier, proche des sans-culottes et futur "martyr de la liberté". C’est à ce dernier que l’on doit le passage du revers « A la 1re atteinte portée à la liberté, les ondes ensanglantées du Rhône et de la Saône charriront vos cadavres aux mers épouvantées ». Cette phrase est tirée d’un serment de Chalier et de ses proches, placardé à Lyon afin d’effrayer ses adversaires girondins et contre-révolutionnaires. Cette menace a marqué l’histoire locale car le placard a été reproduit dès avril 1793 par le Journal de Lyon et son texte gravé sur une médaille la même année.

 

L’épouvantail de la République sociale

L’histoire lyonnaise a parfois inquiété les tenants de l’ordre et de la propriété pour les raisons indiquées plus haut. Par ailleurs, en 1848, le peuple lyonnais a joué un rôle important dans les événements révolutionnaires. À la nouvelle de la révolution parisienne, les travailleurs lyonnais ont pris d’assaut les forts de la Croix-Rousse et les ont occupés. Cela peut expliquer que cette médaille ait indigné plusieurs journaux, sans qu’ils aient apparemment conscience de toutes les références utilisées, notamment la citation de Chalier. La Gazette de Lyon du 16 janvier 1850 qualifiait ainsi l’inscription du revers de « cri de guerre d’anthropophages rouges ». Les symboles semblent avoir également suscité l’effroi d’une partie des plumitifs : le Journal d’Elbeuf, du 24 janvier 1850, parle de « l’odieux bonnet phrygien ». Finalement, ces commentaires horrifiés démontrent que la menace révolutionnaire et ouvrière terrorisait toujours les notables en 1850, tout en témoignant du tournant résolument conservateur du régime républicain. Ils montrent aussi le dégoût suscité  par la transformation de la traditionnelle médaille commémorative en "tract sur métal".

Auteur de l’étude :
Date de mise en ligne :
26 juin 2014
En savoir plus :

Bruno Benoît, « Relecture des violences collectives lyonnaises du XIXe siècle», Revue historique, 1998/2, numéro 122, p. 255-286

Michel Biard, 1793, Le Siège de Lyon, entre mythes et réalités, Clermond-Ferrand, Lemme, coll. « Illustoria », 2013.

Maurice Moissonnier, « Les images de la République dans le monde et le mouvement ouvrier lyonnais au XIXe siècle », dans Le XIXe siècle et la Révolution française, Paris, Créaphis, coll. « Pierres de mémoire », 1992, p. 173-189

Pour citer cette étude :

Marc‑Antoine Quignodon, « Un « tract sur métal» lyonnais pour la République démocratique et sociale », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 26 juin 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/208.