Une cocarde blanche à fleur de lys : un insigne contre-révolutionnaire.
- Cette cocarde blanche, brodée d’une fleur de lys surmontée de l’inscription « vive le roi » représente une version particulièrement travaillée de cet insigne contre-révolutionnaire. Si cet objet exprime la fidélité royaliste, il est d’abord un signe de reconnaissance entre partisans du même camp, celui des « rebelles » qui s’opposent aux armées et au pouvoir révolutionnaires.
Analyse de l’objet
- Analyse de l’objet :
Cette cocarde de coton blanc, festonnée et minutieusement brodée d’une fleur de lys surmontée de l’inscription « vive le roi » représente une version particulièrement travaillée de cet insigne contre-révolutionnaire. Bien d’autres ont été fabriquées de manière plus sommaire et deux rubans blancs cousus ensemble pouvaient suffire pour « arborer la cocarde blanche ». Dans la Révolution française, l’histoire de la cocarde blanche se façonne alors en miroir de celle de sa sœur ennemie, la cocarde tricolore, et témoigne de l’âpreté des affrontements entre Révolution et Contre-Révolution.
Quand le blanc devient la couleur des « rebelles »
Couleur traditionnelle de la royauté, consacrée couleur de l’État au XVIe siècle, le blanc s’impose entre 1789 et 1792 comme la couleur de la Contre-Révolution, éclipsant d’autres couleurs associées à la famille royale – le noir de la monarchie en deuil ou encore le vert, couleur de la livrée du Comte d’Artois, frère de Louis XVI. En octobre 1789, la cocarde des partisans de l’Ancien Régime est aussi bien blanche que noire et fait grand bruit lorsque des gardes du corps du roi l’arborent en piétinant la cocarde nationale, nourrissant des alarmes qui ne sont pas pour rien dans les journées d’octobre et le déplacement de la famille royale de Versailles à Paris.
Même alors toutefois, le destin de la cocarde blanche n’est pas tracé : nœud de ruban d’abord porté par les soldats, insigne de l’armée de ligne de la monarchie, elle est à ce titre encore arborée par des soldats qui sont nombreux à soutenir la Révolution. Mais, le port de la cocarde passe rapidement du militaire au civil lorsqu’il importe de marquer où va sa fidélité dans une société bouleversée. Car les divisions s’accusent et dès le printemps 1790, à Nîmes et dans d’autres villes du Midi, où les luttes pour le pouvoir local sont dramatisées par les frontières confessionnelles, la cocarde blanche est substituée à la cocarde tricolore par ceux qui dénoncent une Révolution aux mains des Protestants.
Dans tout le pays, dans les conflits opposant des régiments et bientôt des groupes d’habitants, la cocarde blanche est alors identifiée comme un « signe d’insurrection » désignant les « aristocrates ». Étiquettes infamantes pour les révolutionnaires, elles sont reprises comme un étendard par celles et ceux qui portent l’insigne blanc en affirmant « je suis aristocrate ». Loin d’être anecdotique, la guerre des cocardes, que l’on s’arrache, foule aux pieds ou dénonce, préoccupe les députés de l’Assemblée nationale, lucides sur la gravité d’antagonismes dont les couleurs se fixent à l’échelle du pays – y compris dans les colonies, où la cocarde blanche peut être arborée par des esclaves révoltés si les planteurs sont fidèles à la cocarde tricolore.
Dans le contexte de la guerre et de la levée volontaires, en juillet 1792, moment critique d’une militarisation de la société, porter la cocarde tricolore devient obligatoire pour les hommes, tandis que le port d’un « signe de rébellion » est passible de poursuites judiciaires et peut être puni de mort.
Blanc/bleu : couleurs affrontées dans les luttes populaires
Des trois couleurs nationales, c’est au bleu républicain, couleur de l’uniforme des gardes nationaux, que s’oppose alors le blanc royaliste et le choc de ces couleurs prend d’abord forme sur le terrain des affrontements armés. Dans l’Ouest, la cocarde blanche devient le signe de ralliement des insurgés de mars 1793, soulevés contre le tirage au sort pour la levée des 300 000 hommes et s’impose comme l’insigne de l’Armée catholique et royale avec le « cœur vendéen ». Les insurgés arrêtés avec cet insigne sont alors jugés hors la loi et poursuivis comme tels, tandis que des femmes sont dénoncées pour en avoir fabriqués ou distribués.
Sur le terrain pourtant, dans les insurrections de mars 1793, dans la guerre de Vendée puis dans la chouannerie, la cocarde blanche sert aussi de passeport pour circuler dans une contrée divisée par la guerre. Lorsque les républicains ou leurs ennemis tiennent tour à tour le pays, sa dimension partisane se teinte d’un utilitarisme stratégique. De même que l’on crie « vive le roi » ou « vive la République » à qui veut bien l’entendre, il peut être salvateur de brandir, à bon escient, la cocarde blanche ou celle aux trois couleurs.
Le choix d’une cocarde peut faire partie alors de l’arsenal de survie en terre de guerre civile, mais elle n’en demeure pas moins le support d’affrontements partisans déclinés à toutes les échelles, des rangs de l’armée aux portes des églises.
Dans un village breton, lorsqu’une journalière rétorque à sa voisine : « ne me tutoie pas, je ne veux pas que tu me parles à la République », elle emploie aussi la force pour lui épingler une cocarde blanche sur sa coiffe. La cocarde blanche est alors le motif d’une lutte symbolique aux traits multiples, des médaillons à l’effigie royale aux chansons fustigeant la Révolution, du drapeau blanc sur le clocher aux abattages d’arbres de la liberté.
Un blanc pur pour une contre-révolution protéiforme
La cocarde blanche présentée ici aurait appartenu à Nicolas Bernuset, curé de Chevinay, à l’ouest de Lyon, une région où les affrontements sont très forts entre clergé réfractaire et clergé constitutionnel, et entre royalistes et révolutionnaires, eux-mêmes très divisés entre factions radicales ou modérées. Brodée d’une fleur de lys, cet emblème des Capétiens peut encore orner des documents officiels sous la monarchie constitutionnelle comme les boutons de gardes nationaux, mais il est à son tour proscrit après la chute de la royauté le 10 août 1792 et l’entrée en République et doit disparaître de l’espace public comme des objets personnels, décoratifs ou vestimentaires.
Cette cocarde est-elle alors arborée ou secrètement conservée comme un talisman, à l’image des petits portraits de Louis XVII ? Au début du Directoire, la cocarde blanche s’exhibe davantage, accompagnée d’autres marqueurs du royalisme comme la croix de Saint-Louis ou d’apparences aux connotations politiques.
Avec sa devise et sa fleur de lys, cette cocarde formule donc explicitement la fidélité royaliste. Mais l’insigne de la cocarde blanche, associé aux autres objets et symboles contre-révolutionnaires, tend à unifier une contre-révolution protéiforme, inégalement située dans l’orbite du royalisme. La cocarde blanche est d’abord un signe de reconnaissance, entre partisans du même camp, celui des « rebelles » qui s’opposent aux armées et au pouvoir révolutionnaires.
Sur des terrains aussi divers que le Midi fracturé par la crise « fédéraliste », « la Vendée » façonnée par la guerre civile, les insurrections populaires de l’Ouest et d’ailleurs ou les affrontements des colonies, la cocarde blanche incarne ainsi le refus d’un ordre (ou d’un désordre) qui ne mobilise pas les mêmes griefs ni les mêmes aspirations.
Dans la chouannerie de l’Ouest par exemple, elle est tout autant le signe de reconnaissance d’une paysannerie hostile aux levées d’hommes que celui des nobles et émigrés appelant de leurs vœux la restauration monarchique. Elle est encore trouvée dans les maisons de fidèles qui cachent des prêtres réfractaires, même s’ils peuvent préférer le symbole du cœur enflammé à la connotation plus immédiatement religieuse. Cette dimension plastique de la cocarde blanche favorise ses résurgences dans des contextes multiples à l’échelle française et européenne.
Pendant la Première Restauration, puis durant les Cent Jours, la cocarde blanche resurgit avec force face à une cocarde tricolore devenue bonapartiste, tandis que l’affrontement de deux légitimités se télescope avec des guerres de clocher, au sens figuré comme au sens propre lorsqu’il s’agit d’y hisser le drapeau blanc.
Héritage précieux ou honni, rejoué dans les luttes politiques du XIXe siècle opposant républicains et royalistes, sans compter ses déclinaisons hors de France (avant tout chez les carlistes d’Espagne), la cocarde blanche et ses usages illustrent la dimension européenne et internationale d’une Contre-Révolution tout à la fois cristallisée et mouvante, à l’image de son adversaire.
- Date de mise en ligne :
- 25 octobre 2024
- En savoir plus :
Jean-Clément Martin (dir.), Dictionnaire de la Contre-Révolution, Paris, Perrin, 2011.
Richard Wrigley, The Politis of Appearances. Representations of Dress in Revolutionary France, Oxford – New York, Berg, 2002.
- Pour citer cette étude :
Solenn Mabo, «Une cocarde blanche à fleur de lys : un insigne contre-révolutionnaire », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 25 octobre 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item/476.