Objets politiques séditieux (France, 1814-1830)

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Les archives policières et judiciaires permettent alors de prendre la mesure de l’application de cet arsenal législatif. Elles permettent aussi de mesurer du langage de résistance dont les objets séditieux sont porteurs.

Au sein des objets saisis, les objets comportant une image de Napoléon ou de sa famille dominent très largement. Il faut rappeler à cet égard que les débuts de la Restauration, en 1815-1816, sont marqués par une opération massive d’élimination des images napoléoniennes, gravées, peintes ou sculptées. Cette opération iconoclaste, menée avec le soutien de toute la pyramide administrative, du ministère de l’Intérieur aux maires des plus petites communes, se solde par la destruction publique, parfois dans de gigantesques autodafés, des signes et images à la gloire de l’empereur déchu[1]. C’est donc en réponse à cet effacement spectaculaire que des images napoléoniennes inondent désormais le marché des objets du quotidien iconophores (porteurs d’images) : les pipes à figures, les tabatières, les mouchoirs, etc. La représentation de Napoléon comme empereur, entouré de ses emblèmes dynastiques comme l’aigle, la couronne ou le monogramme N, est jugée tout particulièrement séditieuse. Elle donne en effet à voir une souveraineté et une légitimité alternatives, jugées intolérables dans l’espace public. Des étiquettes de bouteilles de liqueur, produites à Lyon et diffusées sur le territoire national, sont ainsi saisies et brûlées, car elles donnent à voir l’espoir d’une restauration impériale. « L’Élixir de Sainte-Hélène » montre par exemple, sous une aigle impériale, Napoléon Bonaparte sur son rocher, et, à gauche, un bateau et un canot suggérant une possible évasion et un retour en France.

Toutefois, les seuils de tolérance face à ces images évoluent en fonction du contexte politique et de l’évaluation des rapports de force. À la fin de la Restauration, plusieurs années après la mort de Napoléon (en 1821), l’image de l’ancien empereur finit par devenir légale en tant que figure historique. Le signe napoléonien se refroidit, y compris dans l’espace public, mais à la condition qu’il ne s’accompagne pas de mots ou de gestes provocateurs, d’« intentions malveillantes » ou de « projets coupables[2] ». En 1828, à l’occasion d’une saisie contestée de bustes napoléoniens, le ministre de l’Intérieur explicite cette nouvelle jurisprudence relative aux images gravées et sculptées :

« Bonaparte étant aujourd’hui un personnage historique, les tribunaux ont décidé, plusieurs fois, que les gravures ou les bustes qui le représentent ne pouvaient être considérés comme séditieux, et ils ont renvoyé de la plainte les divers marchands qui leur avaient été déférés. L’administration, en conséquence, permet la vente desdites gravures, pourvu qu’elles ne soient point accompagnées d’un texte apologétique.[3] »

Plus ambigus, aux yeux des autorités, sont les objets porteurs d’images relevant d’idéologies libérales contestataires : des cravates ou des pipes à l’effigie des leaders de l’opposition libérale à la Restauration, Jacques-Antoine Manuel et Maximilien Sébastien Foy, ou encore des éventails évoquant les révolutions libérales des années 1820-1821, en Espagne, au Portugal et en Italie. Un vendeur de cravates à l’effigie de Manuel et de Foy est ainsi arrêté puis libéré, tandis que les nombreux objets souvenirs produits à l’occasion de la mort du général Foy, des bagues, poignées de parapluie, boutons de manchettes, liqueurs, parfums et bonbons « à la Foy », semblent circuler sans entraves[4]. Il est vrai que l’image des ténors libéraux ne menace pas directement la souveraineté incarnée du roi Bourbon. Quant aux éventails consacrés à la constitution libérale piémontaise de 1820, ils sont autorisés dans la mesure où ils sont destinés au marché italien, et ne menacent donc pas l’ordre public national[5]. Très différent est le regard porté sur les objets et tissus décorés aux trois couleurs (bleu, blanc, rouge) : toujours pourchassés, ils sont jugés attentatoires à la souveraineté royale, et associés à une mémoire révolutionnaire et impériale que le pouvoir cherche à effacer et à expier.

Notes

  1. ^ Emmanuel Fureix, L’œil blessé : politiques de l’iconoclasme après la Révolution française, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2019, p. 131 et suivantes.
  2. ^ Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de la Haute-Loire, 10 mars 1822, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/6704.
  3. ^ Lettre du ministre de l’Intérieur au préfet du Jura, août 1828, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/6704.
  4. ^ Jean-Claude Caron, Les deux vies du général Foy : 1775-1825 : guerrier et législateur, Ceyzérieu, Champ vallon, 2014, p. 345‑348.
  5. ^ Lettre du procureur général d’Aix au ministre de la Justice, 25 octobre 1822, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/6704.

Pour citer cette étude : Emmanuel Fureix, « Objets politiques séditieux (France, 1814-1830) », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 14 février 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item-set/63.