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Objets politiques séditieux (France, 1814-1830)

Au-delà des obsessions policières et judiciaires, les sources administratives rapportent des gestes observés autour des objets séditieux. Ces gestes, aussi fragmentaires soient-ils, permettent de restituer une autre agentivité des objets : leur capacité à susciter des interactions sociales et des émotions politiques concrètes.

En premier lieu, l’exposition publique d’objets séditieux provoque presque toujours des rassemblements et des discussions autour des étals ou des boutiques où ils sont présentés, y compris devant des boutiques de confiseurs, lorsque sont visibles des bonbons à l’effigie de Napoléon. Les attroupements sont souvent liés à la surprise de voir un tabou visuel brisé, surtout s’il renvoie à une souveraineté concurrente : par exemple, l’apparition d’une image de l’empereur dans les premières années de la Restauration. Les attroupements peuvent être renforcés par la répression policière et judiciaire : à la nouvelle d’une condamnation d’une marchande de mouchoirs à l’effigie de Napoléon et de son fils, son magasin de nouveautés est envahi par des chalands protestataires[1].

Plus précisément, l’agentivité de l’objet séditieux tient à sa capacité à sécréter ou accréditer des rumeurs. L’image ou l’emblème proscrits viennent attester une information douteuse, ou, à tout le moins, susciter des discussions. Ainsi les pièces de monnaie séditieuses représentant Charles X en jésuite engendrent une série de rumeurs sur la vacuité du trône : « Le bruit se répand que le roi a été fait évêque depuis au moins deux mois, et qu’à dater de cette époque il en remplit chaque jour les devoirs, mais que pour ne pas être distrait de ses occupations religieuses, Sa Majesté se propose d’abandonner la conduite des affaires du royaume ». L’objet — ici la monnaie graffitée — vient semer le trouble sur la disponibilité du trône et la possibilité d’un renversement du pouvoir.

Plus encore, les objets dédiés au culte napoléonien se prêtent à des lectures prophétiques et messianiques, annonçant le retour du héros puis celui de son fils, et donc une imminente restauration impériale. La mise en vente de boutons napoléoniens à l’aigle suffit ainsi à accréditer, en octobre 1814 à Gisors (Rhône), le retour possible de Napoléon[2]. À Besançon, l’exhibition d’un cerf-volant tricolore (en fait vert, blanc, rose), quelques semaines après la mort du duc de Berry, suffit à susciter une panique collective et la crainte d’un retour de Napoléon[3]. Les objets séditieux ou pensés comme séditieux s’insinuent dans des moments critiques pour renforcer les doutes sur la stabilité du pouvoir et la croyance en son renversement possible. Ceci ne va pas sans créer une certaine confusion : à Rouen en mars 1821, des vétérans napoléoniens, passagers d’une diligence, étalent sous les yeux de leurs voisins une collection de tabatières à l’effigie de l’empereur pour annoncer le « prochain rétablissement de la République[4] ». L’image de Napoléon devient le signe paradoxal d’un retour de la République.

Certains rapports policiers évoquent aussi les émotions observées sur les visages des regardeurs, à la vue des objets séditieux. Ces émotions peuvent être négatives, liées à l’effroi ou au tabou d’une image interdite. En 1822, deux femmes découvrent un portrait de l’empereur dans une blague à tabac laissée à dessein dans une rue d’Amiens, et ne peuvent réprimer des cris d’épouvante[5]. La mort récente de l’empereur n’est peut-être pas étrangère à ce mouvement panique. Les émotions peuvent aussi être exaltées, lorsque les regardeurs cultivent avec nostalgie le passé napoléonien. Lors d’une projection de fantasmagories napoléoniennes, à Tham puis à Montbéliard, le public manifeste son enthousiasme par des exclamations. De même, la simple vision des étiquettes de liqueurs à l’effigie de Napoléon semble provoquer l’excitation de certains vétérans : « Rien ne paraît plus susceptible de provoquer des têtes d’ailleurs assez ardentes de leur nature, déjà échauffées par l’effet du vin et des liqueurs fortes, que la vue de pareilles étiquettes », écrit le lieutenant de police du Rhône, quelques semaines après l’assassinat du duc de Berry[6]. L’exaltation frise la dévotion lorsque des gestes quasi religieux accompagnent la vision de l’effigie adorée. Dans un cabaret de Nantes en 1815, chaque soir, « on se passe de main en main une tabatière recouverte par le portrait de Napoléon » et les disciples « embrassent cette effigie et la pressent avec idolâtrie[7] ». Ces gestes, probablement isolés, confirment d’autres pratiques où le portrait du souverain est parfois traité comme une personne vivante et sécrète une forme de magie sociale[8].

Notes

  1. ^ Rapport de la police d’Arras (Pas-de-Calais), 29 novembre 1829, Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/6705.
  2. ^ Lyon, Archives départementales du Rhône, 4/M/245.
  3. ^ Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/3792.
  4. ^ Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/6706.
  5. ^ Pierrefitte-sur-Seine, Archives nationales, F/7/6706.
  6. ^ Lettre du lieutenant de police du Rhône au préfet du Rhône, 12 mars 1820, Lyon, Archives départementales du Rhône, 4/M/245.
  7. ^ Rapport du maire de Nantes au préfet de la Loire-Inférieure, 2 septembre 1815. Nantes, Archives départementales de la Loire-Atlantique, 1/M/85.
  8. ^ Sur cette question, voir Emmanuel Fureix, L’œil blessé : politiques de l’iconoclasme après la Révolution française, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2019, p. 91‑111.

Pour citer cette étude : Emmanuel Fureix, « Objets politiques séditieux (France, 1814-1830) », ObjetsPol [en ligne], mise en ligne le 14 février 2024, https://objetspol.inha.fr/s/objetspol/item-set/63.